Albert Camus (en arabe : ألبير كامو), né le à Mondovi (aujourd’hui Dréan) en Algérie, et mort accidentellement le à Villeblevin, est un écrivain, philosophe, romancier, dramaturge, essayiste et nouvelliste français. Il est aussi journaliste militant engagé dans la Résistance française et proche des courants libertaires dans les combats moraux de l'après-guerre.
Son œuvre comprend des pièces de théâtre, des romans, des nouvelles, des films, des poèmes et des essais dans lesquels il développe un humanisme fondé sur la prise de conscience de l'absurde de la condition humaine mais aussi sur la révolte comme réponse à l'absurde, révolte qui conduit à l'action et donne un sens au monde et à l'existence. Il reçoit le prix Nobel de littérature en 1957.
Dans le journal Combat, il prend position aussi bien sur la question de l'indépendance de l'Algérie que sur ses rapports avec le Parti communiste algérien, qu'il quitte après un court passage de deux ans. Il proteste successivement contre les inégalités et la misère qui frappent les musulmans d'Afrique du Nord, puis contre la caricature du pied-noir exploiteur, tout en prenant la défense des Espagnols exilés antifascistes, des victimes du stalinisme et des objecteurs de conscience. En marge de certains courants philosophiques, Camus est d'abord témoin de son temps et ne cesse de lutter contre les idéologies et les abstractions qui détournent de l'humain. Il est ainsi amené à s'opposer aussi bien au libéralisme qu’à l'existentialisme et au marxisme. Sa critique du totalitarisme soviétique lui vaut les anathèmes de communistes et sa rupture avec Jean-Paul Sartre.
Lucien Auguste Camus, père d'Albert, est né le 28 novembre 1885 à Ouled Fayet dans le département d'Alger, en Algérie. Il descend des premiers arrivants français dans cette colonie annexée à la France en 1834, et départementalisée en 1848. Un arrière-grand-père, Claude Camus, né en 1809, venait du Bordelais, un autre arrière-grand-père, Mathieu Just Cormery, d'Ardèche et sa femme, Marguerite Léonard de Thionville (Veymerange) en Lorraine, mais la famille se croit d'origine alsacienne,.
La famille est analphabète. Lucien est le premier homme à apprendre des rudiments de lecture à l’orphelinat. Ouvrier agricole, il approfondit la lecture et l’écriture auprès de son employeur négociant en vin d’Alger, Jules Ricôme, grâce auquel il devint caviste. Il épouse le 13 novembre 1909 à Alger (acte de mariage no 932) Catherine Hélène Sintès, née à Birkhadem le 5 novembre 1882, dont la famille est originaire de Minorque en Espagne. En 1910, naît à Alger leur fils aîné Lucien Jean Étienne. En charge en 1913, d’un domaine viticole, dans le hameau de Saint-Paul (aujourd'hui Chebaïta Mokhtar), nommé « le Chapeau du gendarme », situé à 8 km de Mondovi, en langue arabe Dréan, à quelques kilomètres de Bône (Annaba) dans le département de Constantine, il devint père pour la seconde fois le 7 novembre 1913 avec l’arrivée d’ Albert à Mondovi. En juillet 1914, le paludisme menace la petite famille. Catherine Hélène quitte la région avec ses deux jeunes enfants pour s’installer chez sa mère despotique et ses deux frères (Étienne — sourd, qui travaille comme tonnelier — et Joseph le cheminot) dans un appartement du quartier populaire Belcourt au 17, rue de Lyon, dans les faubourgs d'Alger. La pauvreté les éloignera davantage du centre de la ville en 1921, les obligeant à déménager au 93 rue de Lyon (actuelle rue Mohamed Belouizdad).
Le 2 août 1914 Lucien Auguste Camus regagne Alger avant d’être mobilisé le lendemain comme 2e classe dans le 1er régiment de zouaves. Blessé à la tête par un éclat d'obus en septembre, il est évacué sur l'école du Sacré-Cœur, de Saint-Brieuc, transformée en hôpital auxiliaire, et il meurt, moins d'une semaine après, le , à 28 ans. Orphelins de père pour fait de guerre, les deux frères sont faits pupilles de la Nation.
De son père, Camus ne connaîtra que quelques photographies, les éclats d'obus que l'armée adressa à la veuve, les rapports de gestion des domaines vinicoles et les deux cartes postales qu’il adressa de la métropole en août et septembre 1914, la première de Noisy-le-Sec, la seconde de l’hôpital de Saint-Brieuc. Il retiendra particulièrement deux messages appelant à la mesure et dénonçant la barbarie. Le premier marque l’indignation du père face à la cruauté revancharde, lors de la guerre du Maroc, et qui est un bel exemple de maîtrise et d’humanité : « Un homme, ça s’empêche. » La second est une dénonciation de la peine de mort :
« Je me suis souvenu dans ces moments d'une histoire que maman me racontait à propos de mon père. Je ne l'avais pas connu. Tout ce que je connaissais de précis sur cet homme, c'était peut-être ce que m'en disait alors maman : il était allé voir exécuter un assassin. Il était malade à l'idée d'y aller. Il l'avait fait cependant et au retour avait vomi une partie de la matinée. »
Catherine Hélène Sintès, mère d’Albert, en partie sourde, ne sait ni lire ni écrire : elle ne comprend un interlocuteur qu'en lisant sur ses lèvres, n'a qu'un très petit vocabulaire de 400 mots et communique en utilisant une gestuelle propre à sa famille, utilisée également par son frère Étienne. « Dépendante et perdue au quotidien, peu écoutée et peu comprise, condamnée aux échanges rudimentaires et banaux, elle est coupée du monde des autres et n’a accès ni à la culture ni au divertissement. »
L’expérience sera douloureuse pour Camus qui ne cessera de questionner ce mutisme terriblement angoissant. Son œuvre portera toujours la marque de l’indicible, de l’incapacité à dire ou de l’impuissance à faire entendre sa voix (Les Muets, L’Étranger, Le Malentendu et le Renégat à qui on a coupé la langue). Le silence est mortel pour Jan, le personnage du Malentendu, tandis qu’il condamne Meursault à n’être qu’un coupable puni de la peine de mort. La vie à portée de mots se perd dans un terrifiant silence. Les sans-mots sont les premières victimes des tragédies camusiennes. La voix de la pauvreté est d’abord silencieuse.
Albert Camus est scolarisé à l’école de la rue d’Aumérat à Alger. Son instituteur, Louis Germain, lui apprend à lire et remarque très tôt ses heureuses dispositions : il est sportif, habile de ses mains et brillant en classe. En cours moyen, il lui permet d’approfondir ses connaissances et lui donne des leçons gratuites pour le préparer en 1924 au concours des bourses, malgré la défiance de sa grand-mère qui souhaitait qu'il gagnât sa vie au plus tôt. Ancien combattant de la Première Guerre mondiale, où est mort le père du futur écrivain, Louis Germain lit à ses élèves Les Croix de bois de Roland Dorgelès, dont les extraits émeuvent beaucoup le petit Albert, qui y découvre l'horreur de la guerre. Camus gardera une grande reconnaissance à Louis Germain et lui dédiera son discours de prix Nobel. Reçu au Grand lycée devenu lycée Bugeaud à l’issue de la Seconde Guerre mondiale et désormais lycée Émir Abdelkader, Albert Camus y est demi-pensionnaire. « J'avais honte de ma pauvreté et de ma famille […] Auparavant, tout le monde était comme moi et la pauvreté me paraissait l'air même de ce monde. Au lycée, je connus la comparaison », se souviendra-t-il.
Il commence à cette époque à pratiquer le football et se fait une réputation de gardien de but au Racing Universitaire d'Alger. Après avoir été reçu à la première partie de son baccalauréat, il entre en classe de philosophie à l'automne 1930. Mais en décembre, à la suite d'inquiétants crachements de sang, les médecins diagnostiquent une tuberculose, et il doit faire un bref séjour à l'hôpital Mustapha. C'est la fin de sa passion pour le football. Son oncle et sa tante Acault, qui tiennent une boucherie dans la rue Michelet (actuellement rue Didouche-Mourad), l'hébergent rue du Languedoc, où il peut disposer d'une chambre de 1931 à 1933. Gustave Acault l’ouvre à la culture. Dans sa correspondance avec Jean Grenier, Camus, 17 ans plus tard, le 20 février 1946, déplorant la mort subite de son oncle Acault, Camus se montre reconnaissant : « C’était le seul homme qui m’est fait imaginer un peu ce que pouvait être un père ». Ce père-là était « un passeur culturel », « un formidable initiateur à la grande littérature ». Il fut véritablement « le premier bienfaiteur dans la vie de Camus, celui qui l’orienta vers la culture et le développement des compétences littéraires ».
Anarchiste, Acault est aussi voltairien et franc-maçon. Boucher de son état, cet homme cultivé aide son neveu à subvenir à ses besoins et lui fournit une bibliothèque riche et éclectique. Camus est en même temps encouragé dans sa vocation d'écrivain par son professeur de philosophie, Jean Grenier,. Il découvrira grâce à lui qu’écrire n’est pas seulement distraire les autres, c’est aussi témoigner de la douleur et de la souffrance et finalement de la pauvreté des siens : « Il a choisi d’être l’écrivain de la douleur et de la souffrance, le penseur des humiliés et des blessés de la vie. » Il évoquera cette expérience dans ses premiers essais d'écriture, L’Hôpital du quartier pauvre et Les Voix du quartier pauvre qui remontent vraisemblablement à 1933. En 1932 ou 1933, selon Max-Pol Fouchet qui est dans ces années son ami avec Louis Bénisti, Jean de Maisonseul, Claude de Fréminville et Louis Miquel, il écrit également un essai, Beriha ou le rêveur et devient secrétaire de la section algérienne du Mouvement Amsterdam-Pleyel. Il restera toujours fidèle au milieu pauvre qui a été longtemps le sien. Il incarne selon Jean-Michel Wavelet, auteur d’Albert Camus – La Voix de la pauvreté, les humbles voués à l’oubli : « Explorant tour à tour la figure de l’étranger, du pestiféré, du repenti et du monstre, il a choisi d’incarner la voix des sans-voix, de narrer le récit des sans-histoires, de parler des silencieux et des muets. Il eut le courage de décrire les ténèbres que parcourent chaque jour, sans bruit et sans cris, des millions d’anonymes, d’inaudibles et d’invisibles. » La préface de 1958 à L’Envers et l’Endroit, publié en 1937, est sans ambiguïté : « chaque artiste garde ainsi, au fond de lui, une source unique qui alimente pendant sa vie ce qu’il est et ce qu’il dit. [...] Pour moi, je sais que ma source est dans L’Envers et l’Endroit, dans ce monde de pauvreté et de lumière où j’ai longtemps vécu ». Il obtiendra son diplôme d’études supérieures en Lettres, section philosophie, en 1936, en présentant un mémoire portant sur les pensées de Plotin et Augustin d'Hippone,,.
En , il épouse Simone Hié (1914-1970), starlette algéroise enlevée à son ami Max-Pol Fouchet. Toxicomane, elle le trompe souvent et leur mariage s'effrite rapidement,. En 1935, il adhère au Parti communiste algérien (PCA) sur le conseil de Jean Grenier. Le Parti, alors anticolonialiste et tourné vers la défense des opprimés, incarne certaines de ses propres convictions,.
La même année, il commence l'écriture de L'Envers et l'Endroit, qui sera publié deux ans plus tard par Edmond Charlot dans la librairie duquel se retrouvent les jeunes écrivains algérois, tel Max-Pol Fouchet. Camus fonde et dirige, sous l'égide du PCA, le « Théâtre du Travail », mais la direction du parti infléchit sa ligne en 1936 et donne la primauté à la lutte antifasciste aux dépens de l’anticolonialisme. Les militants sont alors poursuivis et emprisonnés. Camus, qui s’accommode mal du cynisme et de la stratégie idéologique, proteste alors contre ce retournement et est exclu du Parti en 1937,. À la rentrée qui suit cette rupture définitive, ne pouvant se résoudre à un théâtre strictement engagé qui ne porte pas la liberté de l'artiste, il crée, avec les amis qui l'ont suivi, le « Théâtre de l'Équipe », avec l'ambition de faire un théâtre populaire.
La première pièce jouée est une adaptation de la nouvelle Le Temps du mépris (1935) d'André Malraux, dont les répétitions lui donnent l'occasion de nouer une amitié avec Emmanuel Roblès. Il entre au journal créé par Pascal Pia, Alger Républicain, organe du Front populaire, où il devient rédacteur en chef, puis au journal Le Soir républicain (lorsque la publication d'Alger républicain sera suspendue), que Pia et lui lancent en . Son enquête Misère de la Kabylie () aura un écho retentissant. Invité peu après à une projection privée du film Sierra de Teruel que Malraux avait tiré de son roman L'Espoir, Camus lui dit avoir lu L'Espoir huit fois. Cette période le voit nourrir une riche réflexion sur la liberté de la presse et la déontologie du journalisme, par une pratique quotidienne dans le journal qu'il dirige, Le Soir républicain.
En 1940, le Gouvernement général de l'Algérie interdit le journal Le Soir républicain. Cette même année, Camus divorce de Simone Hié pour épouser Francine Faure, sœur de Christiane Faure,. Ils s'installent à Paris où il travaille comme secrétaire de rédaction à Paris-Soir sous l'égide de Pascal Pia. Il fonde aussi la revue Rivage. Malraux, alors lecteur chez Gallimard, entre en correspondance avec Camus et « se révèle lecteur méticuleux, bienveillant, passionné de L'Étranger » et il en recommande la publication. Le livre paraît le , en même temps que l'essai Le Mythe de Sisyphe (1942), dans lequel Camus expose sa philosophie. Selon sa propre classification, ces œuvres appartiennent au cycle de l'absurde — cycle qu'il complétera par les pièces de théâtre Le malentendu et Caligula (1944). Il est à noter qu'Albert Camus, venu soigner sa tuberculose dans le village du Chambon-sur-Lignon en 1942-1943, a pu y observer la résistance non violente à l'Holocauste mise en œuvre par la population. Il y écrit Le malentendu, y trouvant des éléments d'inspiration pour son roman La peste auquel il travaille sur place.
En 1943, il devient lecteur chez Gallimard, entre dans la Résistance et prend la direction de Combat. Le journal se revendique comme la « voix de la France nouvelle » et Camus ne souhaite pas qu'il soit associé à un quelconque parti politique. En 1944, il rencontre André Gide et un peu plus tard Jean-Paul Sartre, avec qui il se lie d'amitié ; la même année () il anime la première représentation de la pièce de Picasso : Le Désir attrapé par la queue, cette scène est racontée avec humour par Claude Simon dans Le Jardin des plantes. Le , il est le seul intellectuel occidental à dénoncer l'usage de la bombe atomique, deux jours après le bombardement d'Hiroshima, dans un éditorial resté célèbre publié par Combat.
En 1945, à l'initiative de François Mauriac, il signe une pétition demandant au général de Gaulle la grâce de Robert Brasillach, personnalité intellectuelle connue pour son activité collaborationniste pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1946, Camus se lie d'amitié avec René Char, poète et résistant français. Il part la même année aux États-Unis et, de retour en France, il publie une série d'articles contre l'expansionnisme soviétique — qui deviendra manifeste en 1948, avec le coup de Prague et l'anathème lancé contre Tito.
En 1947, c'est le succès littéraire avec le roman La peste, suivi deux ans plus tard, en 1949, par la pièce de théâtre Les justes.
Méfiant à l'égard des abstractions idéologiques, « dès 1945, Camus écartait toute idée de révolution définitive et soulignait les risques de déviation révolutionnaire. » Selon lui la fin ne justifie jamais les moyens. En , la publication de L'homme révolté efface toute ambiguïté sur ses positions à l'égard du régime communiste. Pour l'essayiste Denis Salas, Camus reste « un homme de la gauche modérée » qui se positionne à distance de la gauche communiste et de la droite libérale de Raymond Aron.
Ces positions provoquent de violentes polémiques et Camus est attaqué par ses amis. La rupture avec Jean-Paul Sartre a lieu en 1952, après la publication dans Les Temps modernes de l'article de Francis Jeanson qui reproche à la révolte de Camus d'être « délibérément statique ». Il rompt également avec le poète algérien Jean Sénac, qu'il traite de « petit égorgeur » en raison de son engagement dans l'insurrection algérienne. En outre, il proteste contre la répression sanglante des révoltes de Berlin-Est () et contre l'intervention soviétique à Budapest (). Seuls le soutiennent René Char, Louis Guilloux, Jules Roy, Hannah Arendt. Simone de Beauvoir s'inspire de Camus pour l'un des personnages principaux de son roman à clés Les Mandarins. Camus accuse le coup : « les actes douteux de la vie de Sartre me sont généreusement collés sur le dos. ».
Il s'engage activement en faveur d'une citoyenneté mondiale, qui préfigure la naissance des Organisations Non Gouvernementales (ONG).
En 1954, Camus s'installe dans son appartement parisien du 4 rue de Chanaleilles. Dans le même immeuble et durant la même période, habite René Char.
Il rejoint l'hebdomadaire L'Express en 1955, car il souhaite le retour au pouvoir de Pierre Mendès France afin que celui-ci s'occupe de la situation en Algérie. Il y dénonce le mépris de l’humain qui caractérise la condition ouvrière en régime libéral : « le malheur ouvrier est le déshonneur de cette civilisation. » À cette époque, il édite également les écrits de Simone Weil dans la collection « Espoir » chez Gallimard, conçue pour faire connaître son œuvre et notamment L’Enracinement (1949) et La Condition ouvrière (1951), témoignant d'une volonté de partager la vie des humbles pour mieux la comprendre. Il la considère comme le plus grand esprit de son temps et comme un antidote au nihilisme contemporain.
En 1956, il publie La chute, livre pessimiste dans lequel il s'en prend à l'existentialisme sans pour autant s'épargner lui-même.
La même année, il lance à Alger L'Appel pour une Trêve Civile, tandis qu'au dehors sont proférées à son encontre des menaces de mort. Son plaidoyer pacifique pour une solution équitable du conflit est alors très mal compris, ce qui lui vaudra de rester méconnu de son vivant par ses compatriotes pieds-noirs en Algérie puis, après l'indépendance, par les Algériens qui lui ont reproché de ne pas avoir milité pour cette indépendance. Haï par les défenseurs du colonialisme français, il sera forcé de partir d'Alger sous protection.
Le , le prix Nobel de littérature lui est décerné. Interrogé à Stockholm, par un étudiant originaire d'Algérie, sur le caractère juste de la lutte pour l'indépendance menée par le FLN en dépit des attentats frappant les civils, il répond, selon Dominique Birman, correspondant du Monde qui assiste à la scène : « J’ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s’exerce aveuglément, dans les rues d’Alger par exemple, et qui un jour peut frapper ma mère ou ma famille. Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice. » Le traducteur C.G. Bjurström rapporte beaucoup plus tard une version un peu différente : « En ce moment, on lance des bombes dans les tramways d’Alger. Ma mère peut se trouver dans un de ces tramways. Si c’est cela la justice, je préfère ma mère. »
Souvent déformée en « Entre la justice et ma mère, je choisis ma mère », cette réponse lui sera reprochée. Elle s'insère pourtant de façon cohérente dans l'œuvre de Camus, qui a toujours rejeté l'idée selon laquelle « tous les moyens sont bons » : c’est tout le sujet développé, par exemple, dans Les justes.
Préférant un fédéralisme qui ne crée pas de nouvelles frontières entre les peuples algérien et français, Camus ne se retrouve ni dans une indépendance de l'Algérie qui l’enferme sur elle-même ni dans la perpétuation de l’Algérie française avec sa production d’inégalités et de misères. Il écrit en 1958, dans la dernière de ses Chroniques algériennes que « l'indépendance nationale [de l'Algérie] est une formule purement passionnelle ». Il dénonce tout autant l'injustice faite aux musulmans que la caricature du « pied-noir exploiteur ». Camus souhaite ainsi la fin du système colonial mais avec une Algérie solidaire de la France.
Une partie de la presse littéraire française, de gauche comme de droite, critique ses positions sur la guerre d'Algérie. Incompris, Camus se réfugie dans le silence et connaît une longue période de difficulté à écrire dont la nouvelle Jonas ou l’artiste au travail en sera la brève illustration.
Parallèlement, il s'engage dans la défense du droit à l'objection de conscience, entre autres, en parrainant le comité créé par Louis Lecoin, aux côtés d'André Breton, Jean Cocteau, Jean Giono et l'abbé Pierre. Ce comité obtient un statut, restreint, en , pour les objecteurs. En revanche, il refuse de s'associer à l'appel de plusieurs écrivains (Jean-Paul Sartre, François Mauriac, André Malraux, Roger Martin du Gard) demandant la levée de l'interdiction du livre La Question consacré à l'usage de la torture en Algérie.
Sur l'Algérie, il a déclaré :
« J'ai aimé avec passion cette terre où je suis né, j'y ai puisé tout ce que je suis et je n'ai séparé dans mon amitié aucun des hommes qui y vivent… »
Le chèque afférent au Nobel lui permet de s'acheter en 1958 une maison à Lourmarin, village du Luberon dans le Vaucluse. Il retrouve dans cette ancienne magnanerie la lumière et les couleurs de son Algérie natale. Cathy Mifsud, guide conférencière, explique que « Camus a choisi Lourmarin parce qu'il y a le Luberon, derrière il y a la mer et ensuite, il y a son Algérie natale ».
Camus n'en reste pas moins prêt à se remettre en question : la récompense du Nobel lui sert aussi à financer son ambitieuse adaptation théâtrale des Possédés de Fiodor Dostoïevski, dont il est également le metteur en scène. Représentée, à partir de , au théâtre Antoine, la pièce est un succès critique et un tour de force artistique et technique : trente-trois acteurs, quatre heures de spectacle, sept décors, vingt-quatre tableaux. Les murs se déplacent pour changer la taille de chaque lieu et une énorme plaque centrale tournante permet de rapides changements à vue des décors. C'est au peintre et décorateur de cinéma Mayo, qui a déjà illustré plusieurs de ses ouvrages (L'Étranger - éd. de 1948), que Camus confie la création de ces multiples et complexes décors.
Il épouse en premier mariage Simone Hié en 1934 puis, en 1940, en secondes noces, Francine Faure (1914-1979), mère de ses jumeaux, Catherine et Jean nés en 1945. Selon sa fille, Catherine Camus :
« Je sais seulement qu'elle [Francine Faure] l'a toujours aimé. Et lui [Albert Camus], je pense, aussi. Il y a eu d'autres femmes, et d'autres amours. Mais il ne l'a jamais laissée. […]
Elle, elle m'a dit qu'ils s'étaient toujours aimés, et que cela n'avait jamais été médiocre. »
Il a plusieurs liaisons amoureuses, notamment avec Maria Casarès (1922-1996), « l'unique », rencontrée en 1944, interprète de ses pièces de théâtre Le malentendu et Les justes, liaison qui, du fait de son caractère public, aggrava la dépression de Francine ; avec une jeune étudiante américaine, Patricia Blake (1925-2010), rencontrée à New York en 1946 ; avec la comédienne Catherine Sellers (1926-2014), choisie pour interpréter une religieuse dans sa pièce Requiem pour une nonne ; avec Mi (Mette Ivers née en 1933), une jeune Danoise, artiste peintre, rencontrée en 1957 à la terrasse du Flore alors qu'il se trouvait en compagnie d'Albert Cossery et de Pierre Bénichou.
Albert Camus fête le jour de l'an de 1960 dans sa maison de Lourmarin avec sa famille et ses amis, Janine (née Thomasset) et Michel Gallimard, neveu de l'éditeur Gaston Gallimard, et la fille de Janine, Anne. Le , son épouse Francine et ses deux enfants repartent pour Paris par le train. Camus, qui devait rentrer avec eux, décide finalement de rester et de rentrer avec ce couple d'amis venus en voiture, une puissante et luxueuse Facel Vega FV3B de 1956. Après avoir fait une halte, pour la nuit, à l'auberge Le Chapon Fin à Thoissey, ils repartent le au matin et empruntent la Nationale 6 (trajet de Lyon à Sens) puis la Nationale 5 (trajet de Sens à Paris). Michel Gallimard conduit et Albert Camus se trouve sur le siège passager avant de la voiture, tandis que Janine et Anne sont à l'arrière.
Peu après Pont-sur-Yonne, à Villeblevin, la voiture roule à très vive allure et dérape sur un sol mouillé, quitte la route et percute un premier platane, rebondit sur un autre et se disloque. La violence du choc est effroyable et des morceaux de la voiture sont éparpillés sur des dizaines de mètres. La montre du tableau de bord est bloquée à 13 h 55 et l'aiguille des vitesses à 145 km/h. La vitesse étant libre à l'époque, les actualités télévisées évoquent une vitesse excessive et l'éclatement d'un pneu. Madame Gallimard est sérieusement blessée aux jambes tandis que sa fille Anne est projetée de l'autre côté de la route, agrippée à son coussin, ce qui lui vaudra d'avoir la vie sauve. Michel Gallimard, quant à lui, souffre de plusieurs fractures du crâne et meurt six jours plus tard à l'hôpital.
Albert Camus meurt sur le coup, le crâne fracturé et le cou brisé, coincé entre le tableau de bord et le dossier de son siège. Il faudra deux heures pour l'extraire de la tôle froissée,. Son corps est transporté dans la salle de réunion de la mairie de Villeblevin, transformée en chapelle ardente. Il est étendu sur une civière et recouvert entièrement d'un drap blanc. Le maire du village, M. Chamillard, qui est arrivé sur les lieux peu après le drame, déclare : « Le corps d'Albert Camus n'était pas disloqué, comme on aurait pu s'y attendre après la vision horrible qui s'offrait aux yeux. En fait, il avait simplement un trou derrière la tête et qui saignait. Nous l'avons emmené le plus vite possible, ce qui n'a pas été facile en raison de l'intense circulation. Le parquet arrivait peu après. C'est lui qui a pris l'affaire en main ». Francine Faure, l'épouse de Camus, arrive vers 21 h 50, accompagnée de sa sœur et de deux amis, et le médecin légiste — qui lui se dénomme Marcel Camus, ! — attribuera le décès « à une fracture du crâne, du rachis et à un écrasement du thorax. » Dans la mallette de Camus, retrouvée sur le lieu de l'accident, on découvre le manuscrit inachevé (144 p.) de son dernier roman, Le premier homme. L'écrivain René Étiemble, ami de Camus, déclara : « J'ai longtemps enquêté et j'avais les preuves que cette Facel Vega était un cercueil. J'ai cherché en vain un journal qui veuille publier mon article… »
Le a lieu la levée de la dépouille pour être transportée au cimetière de Lourmarin où il est inhumé, dans cette région que lui avait fait découvrir son ami, le poète René Char,.
En 2011, dans le Corriere della Sera, l'universitaire italien Giovanni Catelli affirme, s'alignant en cela sur une révélation du journal posthume du poète tchèque Jan Zábrana, Toute une vie,, que Camus aurait été assassiné par le KGB sur ordre du ministre soviétique des affaires étrangères Dmitri Chepilov. Le pneu qui explosa aurait été saboté avec un outil qui l’aurait finalement percé lorsque la voiture roulait à grande vitesse :
« J’ai entendu quelque chose de très étrange de la bouche d’un homme qui sait beaucoup de choses et a des sources bien informées. Selon lui, l’accident qui a coûté la vie à Albert Camus en 1960 a été organisé par l’espionnage soviétique. Ils ont endommagé un pneu de la voiture grâce à un appareil sophistiqué qui a coupé ou troué la roue avec la vitesse. L’ordre a été donné personnellement par le ministre Shepilov en réaction à un article publié dans Franc-tireur en mars 1957, dans lequel Camus attaquait le ministre, en le nommant explicitement sur les évènements de Hongrie... »
— Jan Zabrana
Camus avait en effet violemment reproché à cet homme, dans un article publié dans le journal Franc-Tireurs de et au cours d'un meeting de soutien aux Hongrois, la répression de l'insurrection de Budapest et dénoncé fermement les « massacres de Shepilov », le nommant de façon explicite. Selon Giovanni Catelli, le ministre russe ne l'aurait pas supporté, mais ce qui aurait véritablement suscité l'attentat aurait été la prochaine visite à Paris, en , de Khrouchtchev, alors premier secrétaire du Parti communiste de l'Union soviétique et président du conseil des ministres : les gouvernements soviétique et français désiraient en effet se rapprocher, et « on peut imaginer les diatribes qu’Albert Camus aurait lancées contre Khrouchtchev, et l’emballement médiatique qu’il aurait suscité en ruinant l’image des soviétiques auprès de l’opinion publique, jusqu’à mettre en danger l’entente entre les deux pays. C’était inadmissible pour les dirigeants en place. Je crois que c’est pour éviter un tel fiasco qu’on a pris la décision d’éliminer Camus. »
Le KGB aurait alors sous-traité son élimination par les services secrets tchèques qui auraient même obtenu le soutien du pouvoir français de l'époque.
Cette hypothèse d'un assassinat politique, longuement développée dans l'ouvrage de Catelli, La Mort de Camus, et considérée par beaucoup comme peu réaliste, est aujourd'hui presque unanimement rejetée, excepté par l'écrivain Paul Auster. Michel Onfray, philosophe français, ne croit pas non plus à cette version. Peu avant la publication de sa biographie de Camus — L'Ordre libertaire —, il déclarait : « Je ne crois pas cela plausible, le KGB avait les moyens d’en finir autrement avec Albert Camus. [...] Ce jour-là, Camus devait en fait rentrer par le train. Il avait même son billet, et c’est au dernier moment qu’il a décidé de rentrer avec Michel Gallimard. D’ailleurs, la voiture était celle de Gallimard. [...] Que les Soviétiques aient eu envie d’en finir avec lui, c’est sûr, mais pas comme ça. »
À quoi Catelli lui répondra, dans L'Express : « Bien sûr, il avait projeté à l'avance de rentrer par le train, avec René Char : mais dans les jours précédant le départ, Camus et les Gallimard avaient manifesté à beaucoup de personnes de leur cercle leur décision de rentrer en voiture ensemble. Ces propos avaient été communiqués par téléphone, lettre et conversations: l'éditeur Fayard avait déconseillé Gallimard de partir en voiture. Quelqu'un contrôlant Camus et les Gallimard aurait pu facilement connaître leur propos. Si vous [Michel Onfray] pouviez lire le document complet, on parle clairement du fait que les espions ont dû attendre presque trois ans l'occasion d'agir. Je serais heureux de discuter avec vous sur ce thème, et je pense que ce sera peut-être la dernière occasion pour rétablir la vérité, avant que la vague du temps n'efface les dernières preuves. On le doit à la mémoire d'Albert Camus. »
Une autre théorie, plus farfelue encore, attribue la mort de l'auteur de L'Étranger à la supposée « malédiction gitane » du château de Lourmarin, où il avait dormi une nuit quelques années plus tôt. Cette légende populaire ne repose bien évidemment sur aucun fait réel.
Depuis le , les archives de l'auteur sont déposées à la bibliothèque Méjanes (Aix-en-Provence), dont le Centre de documentation Albert Camus assure la gestion et la valorisation.
Le , le quotidien Le Monde affirme que le président Nicolas Sarkozy envisage de faire transférer les restes d'Albert Camus au Panthéon. Dès le lendemain, son fils, Jean Camus, s'oppose à ce transfert, jugeant celui-ci en contradiction avec la pensée de son père. Sa fille, Catherine Camus, s'y montre tout d'abord extrêmement favorable après un premier entretien avec Nicolas Sarkozy, puis se réfugie dans le silence après la polémique suscitée par cette affaire.
Camus est notamment reconnu pour sa « lucidité » et son « exigence de vérité et de justice », ce qui l'amène à s'opposer à Sartre et à se brouiller avec d'anciens amis.
D'après Herbert R. Lottman, Camus n'appartient à aucune famille politique déterminée, bien qu'il ait été adhérent au Parti communiste algérien pendant deux ans. Il proteste successivement contre les inégalités qui frappent les musulmans d'Afrique du Nord, puis contre la caricature du pied-noir exploiteur. Il va au secours des Espagnols exilés antifascistes, des victimes du stalinisme, des objecteurs de conscience.
Camus ne croit pas en Dieu, mais ne se considère pas comme athée. Le philosophe Arnaud Corbic mentionne néanmoins l'« humanisme athée » de Camus, qui a décidé d'aborder « une manière de concevoir le monde sans Dieu » (à travers son cycle de l'absurde), « une manière d'y vivre » (le cycle de la révolte) et « une manière de s'y comporter » (thème de l'amour).
L’absurde est le sentiment de lassitude, voire d’écœurement, éprouvé par l'homme pauvre contraint à un travail aliéné et qui prend conscience que son existence tourne autour d'actes répétitifs et privés de sens: « Lever, tramway, quatre heures de bureau et d’usines, repas, tramway, quatre heures de travail, repas, sommeil et lundi mardi mercredi jeudi vendredi et samedi sur le même rythme, cette route se suit aisément la plupart du temps. Un jour seulement, « le pourquoi » s’élève et tout commence dans cette lassitude teintée d’étonnement. » La certitude de la mort ne fait que renforcer, selon Camus, le sentiment d'inutilité de toute existence.
Arnaud Corbic introduit l'absurde camusien ainsi : « Congédiant tout espoir et récusant toute attitude d’évasion [Camus refusant le refuge de la croyance], l’être humain se doit de faire face à l’absurde. Car c’est dans cette confrontation décidée et incessante avec l’absurde que l’homme se découvre révolté, et c’est dans la prise de conscience de l’absurde (qui s’accompagne de révolte contre celui-ci) que l’homme advient à lui-même et affirme sa dignité » L’absurde n’est que le point de départ d’une condition humaine inacceptable et injuste qu’il convient de dépasser par la révolte. C’est en se révoltant que l’être humain cesse d’être étranger à lui-même et aux autres : « Je me révolte, donc nous sommes. »
Camus a souhaité traiter l'idée générale de l'absurde (ou de la « négation ») sur trois supports et tons différents : le roman (avec L'Étranger), le théâtre (avec Caligula et Le malentendu) et l'essai (avec Le Mythe de Sisyphe),.
Selon la psychanalyste Marie Jejcic, L'Étranger s'inscrit, avec Le Mythe de Sisyphe et Caligula, dans un triptyque sur l'absurde, cherchant à faire référence à la mort et à la « décliner sous toutes ses formes ».
Camus souhaitait exprimer la révolte (ou le « positif ») à travers ces trois mêmes formes et supports, qui sont le roman (avec La peste), le théâtre (avec L'État de siège et Les justes) et l'essai (avec L'homme révolté).
Il écrit : « L'une des seules positions philosophiques cohérentes, c'est ainsi la révolte ». La révolte est donc la manière de vivre l'absurde, connaître notre destin fatal et néanmoins l'affronter. C'est l'intelligence aux prises avec le « silence déraisonnable du monde » ; le condamné à mort qui refuse le suicide.
La révolte, c'est aussi s'offrir un énorme champ de possibilités d'actions, car si l'homme absurde se prive d'une vie éternelle, il se libère des contraintes imposées par un improbable futur et y gagne en liberté d'action.
Bien que Camus réfute les religions parce que « on n'y trouve aucune problématique réelle, toutes les réponses étant données en une fois », et qu'il n'accorde aucune importance à l'avenir : « il n'y a pas de lendemain », sa révolte n'en est pas pour autant amorale. « La solidarité des hommes se fonde sur le mouvement de révolte et celui-ci, à son tour, ne trouve de justification que dans cette complicité ». Tout n'est pas permis dans la révolte, la pensée de Camus est humaniste, les hommes se révoltent contre la mort, contre l'injustice et tentent de « se retrouver dans la seule valeur qui puisse les sauver du nihilisme, la longue complicité des hommes aux prises avec leur destin ». À la fin de La peste, il fait dire au héros principal, le docteur Rieux, qu'il a rédigé cette chronique « pour dire simplement ce qu'on apprend au milieu des fléaux, qu'il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser ».
Camus pose à la révolte de l'homme une condition : sa propre limite. La révolte de Camus ne se fait pas contre tous et contre tout. Il plaide alors pour le refus de la formule des terroristes présentés dans Les justes selon laquelle la fin justifierait les moyens : « La fin justifie les moyens ? Cela est possible. Mais qui justifiera la fin ? À cette question, que la pensée historique laisse pendante, la révolte répond : les moyens »,.
Roger Quilliot appelle ce volet de la vie de Camus La plume et l'épée, plume qui lui a servi d'épée symbolique mais sans exclure les actions qu'il mena tout au long de sa vie (voir par exemple le chapitre suivant). Camus clame dans Lettres à un ami allemand son amour de la vie : « Vous acceptez légèrement de désespérer et je n'y ai jamais consenti » confessant « un goût violent de la justice qui me paraissait aussi peu raisonné que la plus soudaine des passions. » Il n'a pas attendu la Résistance pour s'engager. Il vient du prolétariat et le revendiquera toujours, n'en déplaise à Sartre ; la première pièce qu'il joue au Théâtre du Travail, Révolte dans les Asturies, évoque déjà la lutte des classes.
Il va enchaîner avec l'adhésion au Parti communiste et son célèbre reportage sur la misère en Kabylie paru dans Alger républicain, titre fondé par la gauche algéroise, en 1938, mêlant européens comme Pascal Pia et Pierre Faure et personnalités algériennes telle Mohand Saîd Lechani. Il y dénonce « la logique abjecte qui veut qu'un homme soit sans forces parce qu'il n'a pas de quoi manger et qu'on le paye moins parce qu'il est sans forces. » Les pressions qu'il subit alors vont l'obliger à quitter l'Algérie mais la guerre et la maladie vont le rattraper. Malgré cela, il va se lancer dans la Résistance,,.
Bien qu'il écrive dans Combat et lutte pour des causes auxquelles il croit, Camus éprouve une certaine lassitude. Ce qu'il veut, c'est pouvoir concilier justice et liberté, lutter contre toutes les formes de violence, défendre la paix et la coexistence pacifique, dénoncer tout au long de sa vie la peine de mort, combattre à sa façon pour résister, contester, dénoncer.
En 2013, les éditions Indigène réunissent ses « écrits libertaires » publiés dans Le Monde libertaire, La Révolution prolétarienne, Solidaridad Obrera, etc. Un recueil que sa fille, Catherine Camus, défend comme « essentiel ».
Les origines espagnoles de Camus s'inscrivent aussi bien dans son œuvre, des Carnets à Révolte dans les Asturies ou L’État de siège, par exemple, que dans ses adaptations de La Dévotion à la Croix (Calderón de la Barca) ou Le Chevalier d'Olmedo (Lope de Vega).
Comme journaliste, ses prises de position, sa lutte permanente contre le franquisme, se retrouvent dans de nombreux articles depuis Alger républicain en 1938, des journaux comme Combat bien sûr mais aussi d'autres moins connus, Preuves ou Témoins, où il défend ses convictions, affirme sa volonté d'engagement envers une Espagne libérée du joug franquiste. Il écrira : « Amis espagnols, nous sommes en partie du même sang et j'ai envers votre patrie, sa littérature et son peuple, sa tradition, une dette qui ne s'éteindra pas. ». En 1952, il décide de rompre tout lien avec l'Unesco afin de protester contre l'admission par l'ONU de l'Espagne franquiste,,.
Selon Bertrand Poirot-Delpech, les essais sur son œuvre ont abondé juste après sa mort, tandis qu'on rendait très peu compte de sa vie. Les premières biographies ne sont apparues que dix-huit ans après sa mort. Parmi celles-ci, citons celles de Herbert R. Lottman, un journaliste américain observateur de la littérature européenne pour The New York Times et le Publishers Weekly et d’Olivier Todd, qui a dressé le portrait fidèle d’un Camus lucide et honnête.
Sa célèbre condamnation du principe des attentats frappant des civils, formulée lors de la remise de son prix Nobel en 1957 à Stockholm, demeure un jalon pour le XXIe siècle.
Sa volonté d’agir pour « empêcher que le monde ne se défasse » alliée à une critique du productivisme et du mythe du progrès, à l'importance donnée à la limite et à la mesure et sa recherche d'un nouveau rapport à la nature ont permis aux partisans de la décroissance de le classer parmi les précurseurs de ce courant.
On retiendra aussi son éthique de la pauvreté , sa conception d’une société nécessairement solidaire et d’une école libératrice pour tous ceux qui sont privés de tout.
Mais ce qui fait l’originalité de Camus et de son parcours c’est un rapport si singulier à la langue française. Elle est une source de résilience et de libération pour les privés de mots réduits au silence. Camus, condamné à l’incommunication, enfermé dans le patois de son quartier, replié, ghettoïsé, isolé par ce mélange d’espagnol, d’arabe, d’italien et de français qui limitait le champ d’exploration à celui de l’action immédiate s’est évadé de cette « forteresse sans pont-levis » en s’appropriant la langue française. Il a pu explorer l’écriture pour dire la souffrance, témoigner de la pauvreté et s’en est par là même affranchi en révélant et maîtrisant ses émotions. La langue lui a permis de sortir de l’oubli, d’exhumer la mémoire des gens de peu.
Dans La peste, Joseph Grand n’a pas la même chance : il reste pauvre parce qu’il ne trouve pas ses mots. Les Muets sont condamnés à la misère tandis que le renégat perd sa langue en renonçant à ce qu’il est. Mais le défaut de mots a aussi quelque chose de tragique. Dans Le malentendu, Jan perd la vie faute de dire les mots qui lui permettraient d’être reconnu. En n’énonçant pas la vie comme valeur suprême, les citoyens romains sont aussi menacés d’exécution par Caligula tandis que Meursault, dans l’Étranger, contraint au silence, est condamné à mort faute d’avoir su se faire comprendre.
La fille d’Albert Camus (Catherine) a obtenu la condamnation d’une société de vente aux enchères qui a reproduit sur internet, ainsi que dans son catalogue, une série de lettres inédites rédigées par son père, au mépris du droit de divulgation qui appartient à l'auteur ou à ses ayants droit. Ces lettres ont été qualifiées d’œuvres originales éligibles à la protection par le droit d’auteur,.
Longtemps après avoir refusé de publier des lettres d'amour de son père (« Ces lettres sont des documents très intimes. ») Catherine Camus autorise la parution de celles échangées avec Maria Casarès, sous le titre Correspondance 1944-1959 dont elle signe l'avant-propos et qui sort en librairie le .
En 2015, Camus est le 23e personnage le plus célébré au fronton des 67 000 établissements publics français : 175 écoles, collèges et lycées portent son nom.
Depuis 2018, un lycée du Caire porte le nom d'Albert Camus.
Albert Camus adapta différentes pièces de théâtre étrangères.
En 1975, le régisseur et acteur Nicou Nitai a traduit et adapté pour un one man show La Chute qui a été jouée sur les scènes du Théâtre de la Simta et Théâtre Karov à Tel Aviv, plus de 3 000 fois.
L'Étranger inspire Kamel Daoud avec son roman Meursault, contre-enquête (éditions Barzakh, 2013 ; Actes Sud, 2014), proposant le point de vue du frère de « l'Arabe », tué par Meursault. Selon son premier éditeur, Kamel Daoud « confond délibérément Meursault et Camus. […] Par endroits, il détourne subtilement des passages de L’Étranger. ». L'ouvrage obtient en 2014 le prix François-Mauriac, et le prix des cinq continents de la francophonie. L'année suivante, il remporte le prix Goncourt du premier roman 2015.
En est publié aux éditions Allary le roman La Joie, de Charles Pépin, où l'auteur et « philosophe emprunte à Albert Camus, puisqu'il s'inspire du célèbre récit du Prix Nobel de littérature L'Étranger. C'est la même histoire, mais Pépin l'a inscrite dans les années 2000 », pour la critique du journal Le Figaro. Celle du magazine L'Express le mentionne également : « Charles Pépin publie La Joie, un roman dont le héros rappelle le Meursault de Camus. »
La Poste française a émis un timbre à son effigie le .
Sources primaires
Sources secondaires
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